Par Dr TOUMBI Adrian, politologue chercheur, Président de « Femme, Flamme d’Afrique »

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La tradition africaine dit qu’une lionne n’accouche jamais d’une souri. Le sang de Funmilayo surnommée la lionne de Lisabi coule dans les veines de Fela et de ses frères.  Il s’agit bien  de Francis Abigail Olufunmilayo Thomas épouse Funmilayo Ransome Kuti, née le  25 octobre 1900 à Abeokuta au Nigeria de Lucretia Phyllis Omoyeni Adeosolu et de Daniel Olumeyuwa Thomas. Son père de la tribu Egba, de l'ethnie Yoruba serait fils d’un ancien esclave revenu d’Amérique et installé en Sierra Leone, qui a retracé son histoire ancestrale et prouvé ses origines nigérianes, à Abeokuta. En yoruba Funmilayo signifie « Donne- moi du bonheur». Daniel Olumeyuwa Thomas s’est converti à l’anglicanisme et a éduqué ses enfants dans la foi anglicane, tout en restant néanmoins bien ancré dans les coutumes Yoruba. Elle est morte le 13 avril 1978 à Lagos au Nigeria.
Sa vie a été pleine, permanemment orientée vers l’action, sous l’impulsion d’un cœur prêt au sacrifice pour les autres. Elle a effectué sa scolarité à l'Abeokuta Grammar School puis en Angleterre. Son père qui veillait à la bonne éducation de ses enfants a envoyé sa fille poursuivre ses études en Angleterre. De retour au Nigéria, elle s’oriente vers l’enseignement. Elle épouse le 20 janvier 1929 le Révérend Israël Oludotun Ransome-Kuti. De ce mariage naquirent Fela Ransome-Kuti, Beko Ransome-Kuti, Olikoye Ransome-Kuti, Dolupo Ransome-Kuti.
Sa vie active a été marquée par la lutte pour les droits des femmes et l’indépendance de son pays. Cette enseignante et politicienne a milité et combattu pour le suffrage et l'égalité des droits pour les femmes du Nigéria. Elle a également rejoint la lutte pour l'indépendance de son pays en tant que militante dans le mouvement anticolonial. Elle fonde avec Eniola Soyinka, sa belle-sœur et la mère du prix Nobel Wole Soyinka, l'union des femmes d'Abeokuta (l’Abeokuta Ladies Club ou l’ALC) qui comptait à sa création plus de 20 000 femmes lettrées et analphabètes. A sa création, ce club était destiné à l’apprentissage de l’artisanat par les femmes. Une vingtaine d’années plus tard, il accepta dans ses rangs les commerçantes et les femmes défavorisées, pour la majorité  illettrées, à qui elle apprenait à lire. Le groupe deviendra Abeokuta Women’s Union (AWU). A cette époque coloniale, les Britanniques prélevaient des taxes directes sur les Nigérians, ce qui suscita la colère et la protestation des nigérians, qui contestaient les ingérences britanniques dans leur administration. A cette période où régnait le Roi Egba Alake Oba Ademola II, les chefs traditionnels avaient été dépossédés de leur pouvoir et les autorités coloniales britanniques avec la complicité du Roi, imposaient leurs règles. Le Conseil de l’Autorité autochtone n’avait plus qu’un rôle consultatif. De plus, la corruption régnait et touchait les différents niveaux du pouvoir, des autorités traditionnelles au gouvernement. C’est dans cet environnement fait d’inégalités et d’injustices aux femmes, de corruption et d’exactions envers les nigérians par le pouvoir colonial anglais que sa position anticoloniale va se radicaliser.                             

Révoltée, elle décida de mener des manifestations contre  les autorités traditionnelles et notamment contre le roi Alake dont elle dénonçait les abus. A la tête de 50 000 femmes, elle se rendit à la résidence du roi pour réclamer son départ. Le Roi prit la fuite et renonça à sa couronne. Cet exploit fit entrer Funmilayo dans la légende et lui valu le surnom de « Lionne de Lisabi » du nom du grand héro du peuple Egba, du 18ème siècle qui s’était battu contre l’invasion de l’empire Oyo.

 

 

Elle occupa de nombreux postes dans son pays. En 1953, elle fonda la Fédération des femmes Nigérianes qui s’est  alliée à la Fédération Internationale démocratique des Femmes. Elle fût également longtemps membre du parti du National Council of Nigeria and The Cameroons (NCNC) où elle fût trésorière puis présidente de l’association des femmes. Elle fit d’ailleurs partie des personnes déléguées pour négocier les termes de l’indépendance du Nigéria avec le gouvernement britannique. 
Celle que l’on nommait « la mère des droits des femmes au Nigeria », ou encore «la mère de l'Afrique." fut dans les années 1950, l'une des rares femmes à être élue à la maison des chefs, à l’époque où elle représentait encore l'un des corps politiques les plus influents du Nigéria. Elle a fondé une école secondaire à Abeokuta pour éduquer et former les futurs dirigeants (hommes et les femmes) du Nigéria.
funmilayo-kuti-1.jpgSon mari bien que pasteur n’est pas resté en marge des mouvements de lutte pour la liberté des nigérians. Il a participé à la création de l'Union Nigériane des Enseignants et de l'Union Nigériane des Étudiants. Ce mouvement d’étudiants organisa des manifestations notamment contre les législations imposées par le pouvoir colonial dans le domaine de l’éducation. De nombreux auteurs et analystes de l’époque sont unanimes sur la cause de leur forte complicité, de leur symbiose. Elle tient au respect dans le couple conséquence de l’idée d’égalité  des sexes  qui contrastait fortement avec la tradition et les pratiques au Nigéria où l’homme détenait tous les pouvoirs. Selon la bibliographie de Fela Kuti, cette entente et ce respect mutuel de ses parents auraient pour origine une forte influence de la culture anglaise. Ils étaient chrétiens et rejetaient certains aspects des coutumes Yoruba comme la polygamie, ou le fait de s’agenouiller devant les autorités ou les anciens. De même leur mariage représentait plutôt un modèle d’égalité entre époux alors que dans les familles nigérianes,  le mari avait un rôle nettement dominant. Il ne faut pas penser qu’ils rejetaient leur culture, non ils tenaient à leur héritage culturel, et ne manquaient pas de le valoriser. Funmilayo n’hésitait pas à faire ses discours en Yoruba. Son mari et elle n’ont donné que des noms yorubas à leurs enfants. A partir des années 40 elle ne portera plus que les tenues traditionnelles nigérianes. C’était sa manière à elle d’exprimer à la fois sa fierté pour ses origines mais aussi sa lutte contre le colonialisme. Elle a toujours emmené ses enfants dans ses campagnes politiques semant en eux les graines de l’activisme panafricain. En termes de reconnaissance, elle reçut l’insigne d’honneur de l’Ordre du Nigéria en 1965 et fut également nommée Docteur honoris causa de l’Université d’Ibadan
En février 1978, un assaut de militaires au domicile de son musicien de fils a entrainé sa mort. Elle fut projetée du deuxième étage de la résidence et tomba dans le coma. Elle ne survécut pas à ses blessures et mourut en avril 1978. Elle restera présidente de l’AWU jusqu’à sa mort. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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